#70 – 11/03/1961 – Lettre à mon papa

Un jour on m’a dit « Sous chaque femme forte et indépendante se trouve une petite fille brisée qui a dû apprendre à se relever et à ne jamais dépendre de personne. »

La vie l’a choisi pour moi lorsqu’elle a décidé de m’enlever mon papa dans un accident de voiture, alors que je n’avais que 3ans. 

Cela fait parti de mon histoire, c’est ainsi que j’ai grandi, sans lui, portée par l’amour de ma maman, et marquée pour toujours. 

Aujourd’hui, 11 mars, j’ai choisi le jour de son anniversaire pour lui écrire ces quelques mots, chose que je n’ai jamais faite mais qui me semble nécessaire pour continuer d’avancer dans ma vie d’adulte, tout en gardant cette innocence que j’ai redécouverte ces dernières années, ne l’ayant jamais vécu avant finalement, et qui me permet de m’émerveiller chaque jour de ce qui m’entoure, à travers les yeux de l’enfant qui s’exprime enfin, et vers ma quête perpétuelle du bonheur. 

« Papa,

Deux syllabes chargées d’émotions qui suffisent à me nouer la gorge…Qu’est ce que j’aurais aimé te le crier en me jetant dans tes bras, ne serais-ce qu’une seule fois…

Je n’ai aucun souvenir de toi. Si ce n’est deux moments de mon enfance où je me suis coincée le pied ; une fois sous une pierre, où j’ai hurlé « Papa ! » pour que tu viennes m’en extirper ; et l’autre dans des toilettes turques, où tu as eu la joie d’y récupérer ma basket à scratch tendance début 90’ dans le trou d’évacuation. C’est marrant quand on y pense, presque symbolique. 

L’absence de souvenir avec toi est vraiment la chose la plus difficile à vivre. Je me suis faite une image de toi à travers ce qu’on m’a raconté. A tel point qu’à force de me dire que tu aimais les voitures et que tu avais une moustache, j’ai longtemps pensé que tu étais Tom Selleck dans Magnum…j’en souris encore rien que d’y repenser.

A certains moments, j’ai même préféré qu’on arrête de me parler de toi, ce n’était pas réel, je n’avais plus envie de créer une image fondée sur la narration des uns et des autres, alors que moi je n’avais rien à raconter. 

Lorsque je pense à toi, je redeviens une petite fille fragile, celle qui demandait son papa sur sa liste au Père Noël. Et malgré les biscuits et le lait que je préparais chaque année soigneusement, ce souhait n’a jamais été exaucé. 

Longtemps j’ai préféré penser que tu nous avais abandonné, maman et moi, plutôt que d’admettre que tu n’étais plus…Je le répétais souvent, si bien que Maman avait été obligée de me montrer ta voiture, de toute évidence, il n’y avait pas de doute possible…

Maman a tout fait pour palier à ton absence, elle a été très forte et m’a donné beaucoup d’amour pour compenser. Mais j’ai compris qu’un papa, cela ne se remplace pas malheureusement. Rien n’y fait, tu m’as toujours manqué. J’ai avancé dans la vie, recherchant constamment une présence masculine forte, comme un besoin de trouver la béquille qu’il me manquait. 

Mais à chaque étape de ma vie, en particulier les plus heureuses, tu m’as manqué. Tu me manqueras toujours…

Tu sais, on se ressemble beaucoup, du moins c’est l’impression que j’ai dès lors qu’on me parle de toi : un passionné, sans cesse en quête de challenge professionnel, ambitieux…Et physiquement, j’ai tes yeux. Ce que je suis fière des yeux que tu m’as laissé. Je me vexe dès qu’on me dit qu’ils sont bleus, puisque « non, ils sont verts, comme ceux de mon père ». On ne rigole pas avec la couleur de mes yeux. Oui, j’ai aussi hérité de ton « petit » caractère, celui de maman ne m’a pas épargné non plus, alors imagine le combo !

J’ai longtemps vécu ton absence comme une instabilité personnelle ; l’impression d’être bancale, inachevée, puisque tu t’en es allé avec une partie de mon identité…Ma vie avec toi à mes côtés aurait été totalement différente, forcément, cela serait naïf de penser le contraire. Je m’amuse à l’imaginer parfois. D’après maman, tu m’aurais emmener en vadrouille tous les week-ends, parcourant les circuits automobiles, je serais devenue un vrai garçon manqué. Tu m’aurais gâtée, peut être un peu trop même. Tu l’avais écris toi-même, tu aurais été prêt à tout pour maman et moi. 

De ton absence, de ce vide intérieur, je suis devenue celle que je suis aujourd’hui. Parfois pressée de vivre, impatiente, angoissée par ce qu’il t’est arrivé alors que tu n’avais que 30ans. Mais c’est aussi ma principale source de force et de volonté, mon envie de vivre l’instant présent et d’être heureuse par crainte de ce qu’il pourrait arriver demain. La vie est fragile. Ton absence fait parti de moi, je me suis construite avec, et chaque jour je me demande si tu aurais été fier de moi. Je l’espère de tout mon coeur et ferai toujours en sorte que cela soit le cas. 

Je ne suis pas pressée de te retrouver, néanmois, impatiente de te rencontrer. 

Ta fille qui t’aime comme le ciel… »

22 Commentaires sur “#70 – 11/03/1961 – Lettre à mon papa”

  1. Je suis complètement boulversé par ton témoignage et ne peut m’empêcher de verser une larme enfin deux . Mais effectivement c’est’ bien dans les épreuves qu’en l’on se construit je me suis souvent demandé comment les gens de famille parfaite se construisaient eux ? Je n’aurais probablement jamais la réponse. En tout cas bravo pour pour la femme que tu es devenue et je pense qu’il doit en être très fièr ❤️

  2. Bonjour Manue,
    Ton texte est magnifique, touchant et bouleversant. J’en ai les larmes aux yeux.
    Tes mots me parlent et expriment ce que je ressens au fond de moi, sans jamais avoir réussi à trouver les mots pour décrire ce sentiment.
    Mon père à quitté ma mère quand j’avais 2 ans, les visites se sont fait très rare durant ma jeunesse jusqu’à ne plus le voir du tout pendant 7 ans.
    À 18 ans j’apprends que j’ai 2 sœurs.
    À 18 ans je le revois mais jamais je n’ai jamais pris le temps de parler avec lui, c’était un inconnu et je lui en voulait. Pour moi, je n’ai jamais eu de père.
    À 27 ans, il décéde brutalement d’un infarctus… Et à ce moment précis, je réalise ce que c’est de ne plus avoir de père…
    Aujourd’hui, à presque 31 ans, je l’imagine comme le decrive mes sœurs, ma belle mère. Cet inconnu qui a été un bon père apparemment. Cet inconnu que je n’ai jamais appelé “papa”.
    Voilà pour mon histoire, différente de la tienne mais dont tes mots m’ont fait du bien.
    MERCI pour tout tes articles Manue.

  3. N’est aucun doute sur le fait qu’il serait fière de toi.
    Magnifique lettre pleine de force et d’émotions.
    Tu es une belle personne ❤️

  4. Tout tes mots j’aurais pu les ecrire. Rien que l’intro, c’est exactement la meme histoire que moi. Un accident de voiture, j’avais trois ans. Je ne me souviens pas de lui, j’ai grandi sans sa presence mais en l’idéalisant chaque jour. Je ne saurais jamais ce que c’est de grandir dans une famille complète mais ma maman a assuré comme une lionne, malgré sa douleur. Je te souhaite du courage meme si je sais qu’on ne manque jamais de force quand on est obligées de vivre sans une personne importante. On est obligées d’avancer mais on ne cesse jamais d’y penser.

  5. Je n’ai pas eu le courage de tout lire … j’ai les larmes qui coulent dès le début !!!
    Tu es une belle personne , on ne peux être que fière de sa fille !

  6. Ton texte est si touchant et tellement juste. De là oú il est c’est certain qu’il doit être fier de toi et de la femme si inspirante que tu es devenue.

  7. Tres beau texte j’en ai les larmes aux yeux. Ayant vecu sans mon père je ne peux que comprendre ce que tu ressens

  8. Ce post est sûrement le plus difficile à écrire pour toi et à mes yeux le plus vrai. Que l’on ait grandi avec son père ou non ton histoire est bouleversante. Ces mots sont magnifiques et j’espere Qu’ils t’apaisent un peu. Que d’amour…

  9. Très belle. Je n image pas la douleur de vivre sans cet être qui t a donné la vie . Il peut être extrême fier de toi où qu il soit. Merci pour ces stories et ces post qui sont loin de l étiquette” instagram et réseaux sociaux ” parfois un peu futiles. C est la vie la vraie avec toi .

  10. Tu as tout dis ma grande. Je l’imagine entrain de dire, vous voyez cette jeune femme, Emmanuelle, c’est « Ma Fille » avec fierté et amour. Je t’aime fort.

  11. Magnifique … ça m’a tellement touché que j’ai les larmes aux yeux. Vraiment quelle belle écriture et quelle âmes …

  12. j’ai eu plus de chance que toi, il m’a quitté l’année de mes 30 ans et c’est une torture au quotidien.
    nos papas sont de la même année. Je ne peux pas dire que je comprends ce que tu ressens mais tu es la meilleure version de toi-même dans tout ce que tu entreprends et partage avec les autres. Il serait très fier de toi n’en doute jamais.
    Très beau texte, beaucoup de larme….merci Manue

  13. Ma belle,
    J’ai la chance de te connaître (un peu).
    Je reconnais bien en toi ce que tu décris de ton papa.
    Un bout de femme forte, déterminée, jolie comme un cœur, entière et pleine de vie.
    De toute évidence j’ai pleuré en lisant ces quelques lignes. À l’heure où Mila me demande en ce moment où elle ira quand je serai au ciel…
    En espérant au plus profond de moi que ça lui arrive le plus tard possible.
    De toute évidence, ce papa t’a donné du plus loin qu’il soit possible toutes ces belles qualités qui font de toi une super nana.
    Je t’embrasse. Merci de te livrer comme ça ♥️

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